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Tian avait la chance (même si peu de fermiers se seraient risqués à employer ce terme) de posséder trois parcelles : le Champ du Fleuve, où sa famille faisait pousser du riz depuis des temps immémoriaux ; le Champ de la Route, où le ka-Jaffords cultivait la vive-rave, le potiron et le maïs depuis un nombre égal de générations, et Fils de Pute, un lopin ingrat où ne poussaient que des cailloux, des ampoules et des espoirs déçus. Tian n’était pas le premier des Jaffords déterminé à tirer quelque chose de ces vingt arpents situés derrière chez lui : son Gran-Pere, parfaitement sain d’esprit pour tout le reste, s’était laissé aller à croire qu’il y avait de l’or, là-dessous. La Ma de Tian s’était montrée tout aussi convaincue qu’il y pousserait du porin, une épice de grande valeur. La marotte de Tian, c’était le madrigal. Bien sûr que le madrigal pousserait sur Fils de Pute. Il le fallait. Il avait réussi à mettre la main sur un millier de graines (et elles lui avaient coûté une coquette somme), qu’il cachait sous les lattes du plancher de sa chambre. Tout ce qui lui restait à faire avant de les semer l’année suivante, c’était de préparer le sol de Fils de Pute. Ce qui était bien plus facile à dire qu’à faire.

Le clan Jaffords avait la chance de posséder du bétail, notamment trois mules, mais il aurait fallu être fou pour essayer d’emmener une mule à Fils de Pute ; pour la pauvre bête qui aurait la malchance d’y mettre les sabots, ça signifiait se retrouver les pattes cassées ou piquée à mort, et ce dès le premier jour, avant midi. L’un des oncles de Tian avait bien failli finir comme ça, quelques années plus tôt. Il était rentré chez lui ventre à terre, hurlant comme un putois, poursuivi par de gigantesques guêpes mutantes affublées d’un dard gros comme un clou.

Ils avaient trouvé le nid (enfin, c’était Andy qui l’avait trouvé ; Andy se fichait des guêpes, quelle que fût leur taille), et ils l’avaient fait flamber à l’essence, mais il se pouvait qu’il en restât. Et puis il y avait les trous, les Mon-salaud, plein, il y en avait plein, et impossible de brûler des trous, pas vrai ? Impossible. Fils de Pute se situait sur ce que les anciens appelaient un « terrain flottant ». Aussi comptait-il autant de trous que de cailloux, sans parler d’au moins une grotte qui crachait régulièrement des bouffées d’air nauséabond et toxique. Qui pouvait dire quels croque-mitaines ou quels démons bavards rampaient le long de sa gorge sombre ?

Et les pires trous n’étaient pas ceux visibles pour un homme (ou une mule). Pas du tout, monsieur, faut pas croire. Les brise-pattes étaient toujours cachés dans des bouquets de mauvaises herbes hautes, à l’air innocent. La mule marchait dessus, alors on entendait un craquement sec, comme une branche qui cède, et cette foutue bête se retrouvait couchée par terre, les lèvres retroussées, les yeux fous, à braire de douleur. Jusqu’à ce que vous mettiez fin à ses souffrances, bien sûr, et sachant que le bétail était précieux à Calla Bryn Sturgis, même le bétail qui n’était pas exactement de bon aloi.

Par conséquent, Tian labourait en harnachant sa sœur. Pourquoi pas, après tout. Tia était crânée, elle n’était donc pas bonne à grand-chose d’autre. C’était une fille bien bâtie – les crânés atteignaient souvent une taille prodigieuse – et elle mettait du cœur à l’ouvrage, gloire à l’Homme Jésus. Le Vieux lui avait fait un arbre-Jésus, un cru-6-fi comme il l’appelait, et elle le portait en permanence. En ce moment même, il se balançait autour de son cou, battant contre sa peau en sueur tandis qu’elle tirait.

La charrue était attachée autour de ses épaules par un harnais de cuir brut. Derrière elle, guidant alternativement la charrue par ses vieilles poignées de bois de fer, et sa sœur avec les guides, Tian grognait, tirait et poussait quand le soc de la charrue plongeait ou était sur le point de se coincer. On avait beau être à la fin de la Pleine Terre, il faisait aussi chaud qu’en plein été, ici, à Fils de Pute. La salopette de Tia était sombre et trempée, et elle collait à ses longues cuisses charnues. Chaque fois que Tian secouait la tête pour écarter ses cheveux de ses yeux, la sueur volait de sa tignasse.

— Bon sang, ma garce ! Criait-il. Ce caillou-là, ça te défonce un soc en moins de deux, t’es aveugle ou quoi ?

Ni aveugle ; ni sourde, d’ailleurs. Crânée, c’est tout. Elle se souleva vers la gauche, et pas qu’un peu. Derrière elle, Tian trébucha vers l’avant en se tordant le cou et s’ouvrit le tibia sur un autre caillou qu’il n’avait pas vu et que le soc avait évité par miracle. Tandis qu’il sentait les premières gouttes de sang dévaler son mollet jusqu’à la cheville, il se demanda (et ce n’était pas la première fois) quelle folie poussait toujours les Jaffords dans ce trou à rat. Au fond de lui-même, une petite voix lui disait que le madrigal ne pousserait pas plus ici que le porin avant lui, même si on pouvait toujours cultiver de l’herbe du diable. Oui-là, il aurait pu faire fleurir cette merde sur les vingt arpents, s’il avait voulu. Mais l’astuce, c’était justement de l’empêcher de pousser, et c’était toujours la première corvée, à la Nouvelle Terre. Ça…

La charrue bascula vers la droite puis fit un bond en avant, lui arrachant presque les bras des épaules.

— Arr ! cria-t-il. Vas-y doucement, ma fille ! Si tu me les arraches, ils repousseront pas comme ça, pas vrai ?

Tia tourna son large visage vide et en nage vers un ciel rempli de nuages paresseux et elle laissa éclater son rire, qui tenait d’ailleurs plus du braiment que du rire. Par l’Homme Jésus, même sa voix ressemblait à celle d’un âne. C’était pourtant bien un rire, un rire humain. Tian se demanda, comme c’était souvent le cas, si ce rire avait la moindre signification. Comprenait-elle un mot de ce qu’il disait, ou bien se contentait-elle de réagir à l’intonation de sa voix ? Est-ce qu’aucun crâné avait jamais…

— Bonne journée à vous, sai, fit derrière lui une voix forte et presque sans timbre.

Celui qui avait ainsi parlé ignora le cri de surprise de Tian.

— Que vos journées soient plaisantes et longues sur la terre. Me voilà de retour d’une bonne balade, et je suis votre serviteur.

Tian pivota sur lui-même et il vit Andy – du haut de ses deux mètres – et faillit se retrouver à plat ventre lorsque sa sœur fit une autre embardée vers l’avant. Les guides de la charrue lui échappèrent et lui sautèrent tout près de la gorge, avec un claquement sec et distinct. Tia, inconsciente du désastre potentiel, avança encore d’un pas énergique. Tian se retrouva la respiration coupée. Il émit un halètement, entre la toux et l’étouffement, et s’accrocha aux rênes. Et Andy contemplait toute la scène avec son habituel sourire, large et vide.

Tia donna un nouveau coup de rein et Tian fut arraché du sol. Il atterrit sur une pierre qui lui rentra sauvagement dans la raie du derrière, mais au moins pouvait-il respirer de nouveau. Pour l’instant, du moins.

Foutu champ de malheur ! Toujours la guigne ! Pour toujours !

Tian rattrapa au vol la lanière de cuir avant qu’elle ne l’étrangle une nouvelle fois et hurla :

— Arrête-toi, sale garce ! Holà ! Arrête-toi si tu veux pas que je t’arrache tes gros seins inutiles et que je te les enroule autour du cou !

Tia s’immobilisa complaisamment et se retourna pour voir ce qui se passait. Son sourire s’élargit. Elle leva son bras lourd et musclé – il brillait de sueur – et le tendit.

— Andy ! fit-elle. C’est Andy qu’est revenu !

— J’suis pas aveugle ! répliqua Tian en se remettant sur pied et en se frottant les fesses.

Saignait-il aussi de là ? Doux Homme Jésus, il avait comme l’impression que oui.

— Bonne journée à vous, sai, dit Andy à Tia, et il frappa trois petits coups de ses trois doigts sur sa gorge de métal.

— Que vos journées soient longues et vos nuits plaisantes.

Bien que Tia eût sans doute déjà entendu la réponse de rigueur – Et puisses-tu en connaître deux fois le compte – plus d’un millier de fois, elle ne sut que lever une nouvelle fois vers le ciel son visage lunaire d’idiot, et y aller de son rire d’âne. Tian fut surpris de ressentir un pincement de douleur, non pas dans les bras ou dans la gorge, ou même dans son derrière offensé, mais dans son cœur. Il se la rappelait vaguement, petite fille : aussi mignonne et vive qu’une libellule, plus maligne que quiconque. Et puis…

Mais avant qu’il pût achever sa réflexion, il lui vint un pressentiment. Il sentit le désespoir s’immiscer dans son cœur. La nouvelle devait forcément arriver pendant je suis ici, se dit-il. Là, sur ce lopin paumé où y a rien qui veut pousser, où y a rien que de la malchance. Il était temps, pas vrai. Plus que temps.

— Andy.

— Oui ! lança Andy, le sourire aux lèvres. Andy, votre ami ! Qui revient d’une bonne balade, votre serviteur. Voulez-vous entendre votre horoscope, Tian sai ? C’est la Pleine Terre. La lune est rouge, celle qu’on appelait dans l’Entre-Deux-Mondes la Lune Chasseresse, en tout cas. Un ami va vous rendre visite ! Les affaires vont prospérer ! Vous aurez deux idées, une bonne et une mauvaise…

— La mauvaise, c’était de venir ici retourner ce champ, dit Tian. Oublie mon fichu horoscope, Andy. Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

Le sourire d’Andy ne pouvait sans doute pas se troubler – après tout, il n’était qu’un robot, le dernier de Calla Bryn Sturgis, ou au moins à des roues à la ronde –, mais il sembla pourtant à Tian qu’il se troublait bel et bien. Ce robot ressemblait à un bonhomme dessiné par un enfant, proportionnellement trop grand et trop maigre. Il avait les bras et les jambes argentés. Sa tête était formée d’un baril d’acier, avec des yeux électriques. Son corps, un simple cylindre, était doré. Incrustée au milieu – sur ce qui aurait été sa poitrine – on lisait la légende suivante :

 

Description : Image

 

Pourquoi, ou comment cette chose stupide avait-elle survécu, quand tous les autres robots avaient disparu – disparu depuis des générations – Tian n’en savait rien, et ne s’en souciait guère. On avait tendance à tomber sur lui n’importe où dans La Calla (il ne s’aventurait pas au-delà de ses frontières), déambulant sur ses jambes d’argent trop fines, à regarder dans tous les sens, cliquetant de temps à autre pour lui-même quand il lui arrivait d’engranger – ou d’éliminer, qui sait ? – des informations. Il chantait des chansons, colportait les racontars et les rumeurs à travers la ville – un marcheur infatigable, cet Andy, le Robot Messager – et ce qu’il semblait aimer par-dessus tout, c’était délivrer les horoscopes, même si tout le monde dans le village s’accordait à dire qu’ils ne signifiaient rien.

Il avait une autre fonction, néanmoins, une fonction qui signifiait beaucoup.

— Qu’est-ce que tu fiches là, espèce de sac à boulons ? Réponds-moi ! C’est les Loups, c’est ça ? Ils arrivent de Tonnefoudre ?

Tian se tenait là, levant les yeux vers la face stupide et souriante du robot métallique, sentant la sueur refroidir sur sa peau, priant de toutes ses forces que cet imbécile répondrait non, puis qu’il proposerait de lui redire son horoscope, ou éventuellement de lui chanter « Le Chant du maïs vert », l’intégrale, avec ses vingt ou trente couplets.

Mais tout ce qu’Andy su répondre, le sourire toujours vissé sur la figure, c’est :

— Oui, sai.

— Par le Christ et l’Homme Jésus, fit Tian (à force d’observer le Vieux, il en avait déduit que ces deux noms désignaient la même chose, mais il n’avait jamais poussé plus loin la question). Combien de temps ?

— Une lune complète, avant qu’ils n’arrivent, répondit Andy.

— De pleine à pleine ?

— À peu de chose près, sai.

Trente jours, plus ou moins. Trente jours jusqu’aux Loups. Et aucune chance qu’Andy se trompe. Personne n’intuitait comment ce robot savait qu’ils sortaient de Tonnefoudre si longtemps en avance, mais le fait est qu’il le savait. Et il ne se trompait jamais.

— Va te faire foutre, avec tes mauvaises nouvelles ! hurla Tian, et le tremblement dans sa voix le rendit fou de rage. À quoi tu sers ?

— Je suis désolé que les nouvelles soient mauvaises, fit Andy.

Ses entrailles émirent un cliquetis perceptible, ses yeux brillèrent d’un bleu plus vif, et il recula d’un pas.

— Ne souhaitez-vous pas que je vous dise votre horoscope ? C’est la fin de la Pleine Terre, période particulièrement propice pour boucler les vieilles affaires et faire de nouvelles rencontres…

— Et va te faire foutre avec ta fausse prophétie, pendant qu’on y est !

Tian se baissa, ramassa une motte de terre et la lança sur le robot. Un galet, enterré dans la motte, fit résonner la peau de métal d’Andy. Tia sursauta, puis se mit à pleurer. Andy recula de nouveau d’un pas, son ombre s’allongeant sur la terre de Fils de Pute. Mais son sourire stupide et détestable ne vacilla pas.

— Et que diriez-vous d’une chanson ? J’en ai appris une amusante, chez les Manni, loin au nord de la ville ; elle s’appelle « En temps de pénurie, fais de Dieu ton ami ».

Et du tréfonds des entrailles d’Andy monta le la tremblotant d’un diapason, suivi d’une cascade de notes au piano.

— Ça fait…

La sueur qui dévalait le long de ses joues, qui le démangeait et qui lui collait les testicules aux cuisses. La puanteur de sa propre obsession, ridicule. Tia qui tendait son visage débile vers le ciel. Et maintenant cet idiot de robot, porteur de mauvaises nouvelles, qui s’apprêtait à lui sortir une espèce d’hymne Manni.

— Tais-toi, Andy.

Il parlait d’un ton raisonnable, mais les dents serrées.

— Sai, acquiesça le robot, puis, grâce à Dieu, il se tut.

Tian s’approcha de sa sœur qui braillait, lui passa le bras autour de l’épaule et respira son odeur épaisse (mais pas entièrement désagréable). Pas d’obsession là-dedans, rien que l’odeur du travail et de l’obéissance. Il soupira, puis se mit à caresser le bras tremblant de sa sœur.

— Arrête, espèce de garce braillarde, fit-il.

Les mots pouvaient paraître grossiers, mais dits sur une intonation des plus douces, et c’est à l’intonation qu’elle réagissait. Progressivement, elle se calma. Elle enfonçait la saillie de sa hanche juste en dessous de la cage thoracique de son frère (elle mesurait une bonne tête de plus que lui), et un passant se serait vraisemblablement arrêté pour les regarder, intrigué par la ressemblance des visages et par l’énorme différence de taille. La ressemblance, du moins, n’avait rien de contre nature : ils étaient jumeaux.

Il apaisa sa sœur avec un mélange de paroles tendres et de jurons – depuis des années, depuis qu’elle était revenue crânée de l’Est, ces deux modes d’expression étaient devenus équivalents pour Tian Jaffords – et elle finit par s’arrêter de pleurer. Et lorsqu’un rouilleau traversa le ciel, dessinant des vrilles en poussant ses habituelles séries d’horribles piaillements, elle le montra du doigt et se mit à rire.

Tian sentait monter en lui un sentiment tellement étranger à sa nature, qu’il ne le reconnut même pas.

— Ça va pas, dit-il. Non m’sieur. Par l’Homme Jésus et tous les dieux du ciel, c’est pas bien.

Il regarda vers l’est, vers les collines qui se déroulaient jusqu’aux ténèbres membraneuses qui se levaient et qui auraient pu être des nuages, mais qui n’en étaient pas. C’était la frontière de Tonnefoudre.

— C’est pas bien, ce qu’ils nous font.

— Vous êtes certain que vous ne voulez pas entendre votre horoscope, sai ? Je vois des pièces brillantes et une belle dame sombre.

— Les dames sombres vont devoir se débrouiller sans moi, dit Tian en retirant le harnais des larges épaules de sa sœur. Je suis marié, comme tu le sais, je crois.

— Maints hommes mariés ont eu une gueuse, fit remarquer Andy.

Tian y perçut comme une pointe de suffisance.

— Pas ceux qui aiment leur femme.

Tian enfila le harnais d’un coup d’épaule (il l’avait fabriqué lui-même, car il y avait une nette pénurie de sellerie pour humains, dans la plupart des écuries de louage) et se retourna vers chez lui.

— Et pas les fermiers, en tout cas. Amène-moi un fermier qui aurait les moyens d’avoir une gueuse et je lèche ton cul brillant. Hardi, Tia. Soulève-les et pose-les par terre.

— À la maison ? demanda-t-elle.

— Oui.

— On déjeune à la maison ? fit-elle avec un air confus et plein d’espoir. Des patates ?

Une pause.

— De la sauce au jus ?

— Ben ouais, répondit Tian. Pourquoi on se gênerait ?

Tia poussa un cri de triomphe et partit en courant en direction de la maison. Quand elle courait, elle avait quelque chose de terrifiant, qui forçait le respect. Comme l’avait fait remarquer un jour leur père, peu avant la chute qui l’avait emporté, « Maline ou bouchée, ça fait un paquet de viande qui bouge ».

Tian la suivit lentement, tête baissée, prenant garde aux trous que sa sœur semblait éviter sans même y faire attention, comme si dans une partie obscure de son cerceau, elle avait enregistré l’emplacement de chacun d’entre eux. Ce nouveau sentiment étrange continuait de monter en lui. Il connaissait la colère – tout fermier qui avait jamais perdu des vaches de la maladie du lait ou vu la grêle estivale coucher son maïs la connaissait –, mais c’était là un sentiment plus profond. C’était de la fureur, et ça c’était nouveau. Il marchait lentement, la tête baissée, les poings serrés. Il ne se rendit compte qu’Andy le suivait que lorsque ce dernier ajouta :

— Il y a d’autres nouvelles, sai. Au nord-ouest de la ville, le long du Sentier du Rayon, des étrangers venus du Monde de l’Extérieur…

— Au diable le Rayon, au diable ces étrangers, et toi aussi, tu peux aller te faire foutre, lança Tian. Fiche-moi la paix, Andy.

Andy resta planté là où il était pendant un moment, entouré de cailloux, d’herbes et des bosses désespérantes de Fils de Pute, ce lopin ingrat sur la terre des Jaffords. À l’intérieur de lui, des relais cliquetèrent. Ses yeux lancèrent des éclairs. Et il décida d’aller dire deux mots au Vieux. Le Vieux ne lui disait jamais d’aller se faire foutre. Le Vieux était toujours content d’entendre son horoscope.

Et lui s’intéressait toujours aux étrangers.

Andy prit la direction de la ville et de Notre-Dame de la Sérénité.

 

 

2

 

Zalia Jaffords ne vit pas son mari et sa belle-sœur revenir de Fils de Pute. Elle n’entendit pas Tia plonger la tête encore et encore dans le tonneau d’eau de pluie devant la grange, et secouer les lèvres comme un cheval pour en chasser l’eau. Zalia se trouvait dans la partie sud de la maison, à étendre le linge tout en surveillant les enfants du coin de l’œil. Elle ne se rendit compte du retour de Tian qu’en l’apercevant par la fenêtre de la cuisine, qui la regardait. Elle fut surprise de le voir là, et d’autant plus surprise lorsqu’elle vit la tête qu’il avait. Il était très pâle, à l’exception de deux taches rouge vif sur les pommettes, et une troisième au milieu du front, qui brillait comme un marquage au fer.

Elle lâcha dans le panier à linge les quelques pinces qui lui restaient et se dirigea vers la maison.

— Où va, M’man ? glapit Heddon, ce à quoi succéda le « Où va, Man-man ? » d’Hedda.

— T’occupe. Garde un œil sur tes ka-babés.

— Pourquoooiiiiii ? geignit Hedda.

Elle maîtrisait ce geignement à la perfection. Un jour elle tirerait un peu trop sur la corde, et sa mère la bottinerait raide morte.

— Parce que c’est toi l’aînée.

— Mais…

— Tu ferais bien de te taire, Hedda Jaffords.

— On les surveille, M’man, fit Heddon.

Son Heddon, lui, il était toujours serviable ; sûrement pas aussi intelligent que sa sœur, mais l’intelligence ne faisait pas tout. Loin de là.

— Tu veux qu’on finisse d’étendre le linge ?

— Hed-donnnnn… gémit sa sœur.

Encore ce gémissement horripilant. Mais Zalia n’avait pas le temps de s’en occuper. Elle lança un regard en direction des autres : Lyman et Lia, âgés de cinq ans, et Aaron, deux ans. Aaron était assis, nu, dans la crasse, cognant deux pierres l’une contre l’autre d’un air ravi. C’était le seul à ne pas avoir de jumeau, un singleton, et comme les femmes du village le lui enviaient ! Car Aaron serait toujours en sécurité. Les autres, cependant… Heddon et Hedda… Lyman et Lia…

Elle envisagea soudain une des raisons qui expliquerait qu’il soit rentré si tôt à la maison. Elle pria les dieux qu’il en fût autrement, mais lorsqu’elle entra dans la cuisine et qu’elle vit la façon qu’il avait de regarder les gosses, elle fut presque certaine de ne pas se tromper.

— Dis-moi que ce n’est pas les Loups, dit-elle d’une voix sèche et affolée. Dis-moi que non.

— Si, répondit Tian. Trente jours, d’après Andy – de lune à lune. Et sur le sujet, Andy ne s’est jamais…

Avant qu’il pût poursuivre, Zalia Jaffords se porta les mains aux tempes et se mit à hurler. Dans la cour latérale, Hedda fit un bond en l’air. Elle allait se précipiter vers la maison, quand Heddon la retint.

— Ils ne prendront pas des petits comme Lyman et Lia, pas vrai ? demanda-t-elle. Hedda ou Heddon, peut-être, mais sûrement pas mes tout-petits ? Enfin, ils n’ont même pas cinq ans et demi !

— Les Loups prennent jusqu’à des petits de trois ans, et tu le sais bien, répondit Tian.

Il ouvrait et fermait les poings, inlassablement. Ce sentiment à l’intérieur de lui s’amplifiait toujours – ce sentiment plus profond que de la simple colère.

Elle posa le regard sur lui, le visage raviné de larmes.

— Le temps est peut-être venu de dire non.

Tian lui-même ne reconnut pas sa propre voix.

— Comment faire ? murmura-t-elle dans un souffle. Au nom de tous les dieux, comment faire ?

— J’en sais rien. Mais viens ici, femme, je te prie.

Elle s’approcha, jetant un dernier regard par-dessus son épaule aux cinq enfants dans la cour – comme pour s’assurer qu’ils étaient tous bien là, qu’aucun Loup n’était encore venu les lui enlever – puis elle traversa le salon. Gran-Pere était assis dans le fauteuil d’angle, près du feu éteint, la tête basculée, somnolant ; un filet de bave coulait de sa bouche édentée et plissée.

De cet endroit de la pièce, on voyait la grange. Tian attira sa femme à la fenêtre et tendit le doigt.

— Là. Tu les vois, femme ? Tu les vois de tous tes yeux ?

Bien sûr qu’elle les voyait. La sœur de Tian, du haut de ses deux mètres, qui avait baissé les bretelles de sa salopette, avec ses seins ruisselants qu’elle aspergeait avec l’eau du tonneau. Dans l’embrasure de la porte de la grange se tenait Zalman, le frère de Zalia. Mesurant presque deux mètres vingt, taillé comme Lord Perth, aussi grand qu’Andy et le visage aussi vide que celui de Tia. Un jeune homme costaud contemplant une jeune fille costaude comme celle-là, les seins à l’air, se serait retrouvé avec une bosse dans le pantalon, mais pas Zally. C’était fini, pour lui. Il était crâné.

Elle se retourna vers Tian. Ils se regardèrent, un homme et une femme non crânés, mais seulement du fait d’un coup de chance aveugle. Pour autant qu’ils sachent, ç’aurait pu être Zal et Tia qui se seraient tenus là, à observer Tian et Zalia près de la grange, devenus gigantesques, un corps énorme sous une tête vide.

— Bien sûr que je les vois, lui lança-t-elle. Tu me crois aveugle ?

— Ça ne te donne pas envie de l’être, parfois, de les voir ? De les voir comme ça ?

Zalia ne répondit pas.

— C’est pas bien, femme. Pas bien. Depuis toujours.

— Mais depuis la nuit des temps…

— Au diable, avec la nuit des temps ! cria Tian. C’est des enfants ! Nos enfants !

— Tu préfères peut-être que les Loups brûlent La Calla tout entière, c’est ça ? Qu’ils nous laissent tous avec la gorge tranchée, et les yeux brûlés dans la tête ? Parce que c’est déjà arrivé. Tu le sais bien.

Il le savait, pour sûr. Mais qui mettrait fin à tout ça, si ce n’étaient pas les hommes de Calla Bryn Sturgis ? Parce qu’il n’y avait rien qui ressemble à des autorités, même pas de shérif, petit ou grand, dans ces contrées. Ils étaient livrés à eux-mêmes. Et, bien des années auparavant, quand les Baronnies Intérieures rayonnaient d’ordre et de lumière, ils recevaient des bribes précieuses de ce rayonnement. On était dans les régions frontalières, là où la vie était étrange depuis toujours. Et puis les Loups avaient commencé à leur rendre visite, et alors la vie était devenue bien plus étrange encore. Quand tout cela avait-il commencé ? Depuis combien de générations ? Tian n’en savait rien, mais pour lui cela ne remontait pas à « la nuit des temps ». Certes, les Loups faisaient des rafles dans les villages frontaliers du temps de la jeunesse de Gran-Pere – le jumeau de Gran-Pere lui-même avait été enlevé, tandis qu’ils étaient tous deux assis dans la poussière, jouant aux osselets.

— L’ont plis lui pasqu’il été pus plès d’la loute, leur avait dit Gran-Pere (maintes et maintes fois). Si j’avé solti l’plemier d’la méson c’joul-là, c’est moi qu’aulais été pus plès d’la loute, c’est moi qui z’aulé plis, Dieu est gland !

Après quoi, il embrassait le crucifix en bois que lui avait donné le Vieux, il le tendait vers le ciel, et il se mettait à jacasser.

Pourtant, le Gran-Pere de Gran-Pere lui avait dit que de son temps – ce qui remontait à cinq ou six générations, si les calculs de Tian étaient bons –, il n’y avait pas de Loups rappliquant de Tonnefoudre sur leurs chevaux gris. Un jour, Tian avait demandé au vieil homme : Et est-ce qu’à l’époque, presque tous les enfants naissaient par deux ? Est-ce que les anciens t’ont dit ? Gran-Pere avait réfléchi un bon moment, puis il avait secoué la tête. Non, il ne se rappelait pas ce que les anciens avaient dit à ce propos.

Zalia le fixait d’un air inquiet.

— T’es pas d’humeur à penser à ces choses-là, je sais, après avoir passé la matinée sur ce foutu bout de terre.

— Mon humeur ne les empêchera pas de venir, ou d’emmener qui ça leur chantera, répondit Tian.

— Tu vas pas faire une bêtise, T, dis-moi ? Une bêtise, toi tout seul ?

— Non.

Pas une seconde d’hésitation.

Il a déjà un plan, se dit-elle, et elle s’autorisa une petite seconde d’espoir. Bien sûr, Tian ne pouvait rien faire contre les Loups – aucun d’eux ne pouvait faire quoi que ce soit –, mais il était loin d’être stupide. Dans un village de fermiers où la plupart des hommes étaient incapables de penser au-delà de leur prochaine semence (dans un champ, ou bien le samedi soir), Tian faisait figure d’anomalie. Il savait écrire son nom ; il savait écrire des phrases comme JE TAIME ZALLIE (et c’est comme ça qu’il l’avait eue, même si elle ne savait pas lire le message inscrit dans la poussière) ; il savait faire des additions et aussi compter à l’envers, et il disait que pourtant c’était encore plus dur. Était-il possible que… ?

Une partie d’elle-même ne voulait pas pousser plus avant la question. Et pourtant, quand son cœur et son esprit de mère se tournèrent vers Hedda et Heddon, vers Lia et Lyman, elle se rendit compte qu’une autre partie d’elle voulait espérer.

— Alors, quoi ?

— Je vais convoquer un Conseil de Ville. Je vais envoyer la plume.

— Est-ce qu’ils viendront ?

— Quand il entendra la nouvelle, chaque citoyen de La Calla se montrera. On en discutera. Peut-être bien que cette fois-ci, ils voudront se battre. Peut-être bien qu’ils voudront se battre pour leurs babés.

De derrière eux monta une vieille voix chevrotante.

— Espèce d’idiots de tue-morts.

Tian et Zalia se retournèrent, main dans la main, vers le vieillard. Tue-mort était un mot dur, mais Tian considéra que le vieil homme les regardait – le regardait lui, du moins – avec une certaine tendresse.

— Pourquoi tu dis ça, Gran-Pere ? demanda-t-il.

— Les hommes soltilaient d’ton conseil, là, qui blûleraient la moitié du pays, si z’avaient bu, fit le vieillard. Mais sobles – il secoua la tête – t’en til’las lien.

— Cette fois, il se pourrait bien que tu te trompes, Gran-Pere, répliqua Tian, et Zalia sentit la glace de la terreur prendre autour de son cœur.

Et pourtant, enfoui très profond, tout chaud, il y avait cet espoir.

 

 

Les Loups de la Calla
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